11 janvier 2010
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C’est par une belle journée d’hiver que nous avons rendu visite au village Laâzib Thala Taslent, à quelque cinq kilomètres du chef-lieu de la commune d’Akbou. Un village quelque peu oublié, où les
habitants ont manifesté leur courroux à deux reprises, en décembre dernier, pour réclamer un meilleur un cadre de vie. Des habitants las de galérer depuis plus de 50 ans pour bénéficier d’une vie
de citoyen digne de ce nom dans leur propre pays. Un pays pour lequel ils ont consenti un lourd tribut humain et matériel, en contribuant à l’arracher au joug colonial. Pour eux, le devoir de la
patrie n’est pas un vain mot. Ainsi, la première fois, ils ont fermé à la circulation la RN 26 pour exiger une meilleure sécurité routière. Et la goutte qui a fait déborder le vase est sans doute
la mort d’une sexagénaire fauchée par un véhicule léger au moment où elle traversait la chaussée pour prendre un fourgon de transport. Les villageois réclamèrent la pose de ralentisseurs et la
réalisation d’une passerelle ou d’un tunnel pour épargner d’autres vies. Sur un autre chapitre, quelques jours après, les villageois ont procédé à la fermeture du siège de l’APC d’Akbou, à 80
kilomètres de Béjaïa, exigeant, cette fois-ci, le cadastre de l’assiette foncière du village pour pouvoir prétendre à l’établissement, par les domaines, des actes de propriété de leurs habitations,
titres indispensables qui leur permettraient de pourvoir bénéficier des aides octroyées par l’Etat au monde rural, pour la construction de nouvelles habitations ou l’aménagement de celles déjà
existantes. En traversant le pont de l’oued Soummam, la vue est imprenable sur une immense plaine agricole que gagne malheureusement le béton. Des terres bien travaillées où la culture des céréales
est omniprésente. Cette enclave naturelle verdâtre attire le regard des voyageurs empruntant la RN 26, qui ne peuvent s’empêcher pas d’apprécier les subtilités que leur offre la nature, transformée
par l’homme. L’herbe qui pousse après les premières pluies enveloppe des terres fertiles rougeâtres. A cela, s’ajoutent des régiments d’oliviers composés de vieux arbres régénérés après la coupe
des branchages morts et de jeunes plants plantés récemment, en plus de vergers d’agrumes dont les fruits mûris vous mettent l’eau à la bouche. Les gourmands ne pouvant résister à aux produits
exposés à la vente dans des baraques de fortune érigées sur les accotements garent leur voiture et font la queue. La demande est très forte. Les parcelles de terres sont bordées de cactus, servant
de clôture infranchissable pour l’homme en raison des épines. Cette culture est très répandue dans la région, donnant en été un fruit appelé akermous. Sur la droite, le fort de Benali Cherif, du
nom d’un caïd local durant la colonisation. Les vestiges historiques de l’ancienne forteresse sont encore là pour rappeler une sinistre époque où les populations travaillaient du lever jusqu’au
coucher du soleil, juste pour subsister. Certains édifices tiennent encore le coup, d’autres sont tombés en ruine. Un peu plus loin, des arrêts de bus qui grouillent de monde. Des passagers debout
à faire le pied de grue, attendant le passage d’un fourgon de transport. Les attentes durent parfois des heures entières et illustrent le manque de transporteurs locaux. La première personne
questionnée nous indique le chemin à prendre pour se rendre au village. Nous prenons, alors, une route bien entretenue, où des ralentisseurs ont été fraîchement installés. Un kilomètre plus loin,
nous atteignons le village Laâzib Thala Theslant, où les rayons d’un soleil doux nous accueillent. Sur le minaret de la mosquée, une date historique, 31/12/1958, est inscrite sur une plaque
commémorative. Un villageois de passage nous fait savoir qu’elle correspond à la date de la délocalisation par l’armée coloniale des habitants, pour les regrouper à cet endroit, sous des tentes.
UNE ASSOCIATION DE DÉFENSE DES DROITS DES VILLAGEOIS Arrivés à la placette, et comme dans les villages kabyles, des vieillards vêtus de burnous sont là. Après leurs avoir décliné l’objet de notre
mission, l’un d’eux nous montra du doigt le siège de l’association locale. Une association créée par les habitants pour la défense de leurs droits moraux et matériels. A l’intérieur du local,
beaucoup d’habitants font la queue pour retirer les imprimés de demande de soutien de l’Etat à l’aménagement. La délégation composée des éléments désignés parmi les membres de l’association locale
et ayant négocié avec les autorités n’était pas là. Mais ils ont appelé l’un d’eux pour nous donner les informations que nous recherchions. Il s’agit de Touahri Tahar, un homme la cinquante, qui
semble connaître l’historique du village et les problèmes d’avant et d’aujourd’hui qui exaspèrent les habitants. Aussitôt arrivé, sans tarder, il entame son récit : «On était bien dans nos villages
où chaque famille avait son habitation et ses terres, jusqu’au jour ou l’armée française décida de nous délocaliser pour nous jeter ici. Irritée par la réussite du Congrès de la Soummam qui a eu
lieu en 1956 à Ifri, pour se venger, l’armée nous a éparpillés un peu partout. On nous reprochait notre soutien aux moudjahiddine. Les soldats ont poussé plus loin leur besogne haineuse en
détruisant, par des bombardements, 14 villages du douar Ouzellaguene, en montagne. On nous a entassés ici dans des tentes. Huit mois plus tard, on nous a construit des masures en toub. Avant 1962,
on était 78 familles à subir les affres de la vie. A l’indépendance, on est devenus khemas, en travaillant dans le domaine autogéré créé è l’effet d’exploiter les terres agricoles de Benali Cherif,
reversées aux domaines. Le village est enserré entre deux rivières. Aujourd’hui, le village compte 300 habitants. Le problème de l’absence du foncier se pose avec acuité. D’ailleurs, nous ne
pouvons prétendre à des extensions, du fait que les terres entourant notre village ont été restituées aux héritiers de Benali Chérif. On leur a demandé l’octroi d’un lotissement à l’instar d’un
autre village, ce qu’ils ont refusé en nous proposant la vente. Maintenant que ces terres ont été vendues à des entreprises agricoles privées, nous ne pouvons que nous rabattre sur nos petits
jardins de fortune, que nous sommes obligés de transformer en amas de béton. On a trop attendu pour passer à l’action. Depuis l’indépendance, nous sommes les éternels oubliés des pouvoirs publics.
Allons-nous encore moisir dans ces taudis imbriqués l’un sur l’autre ? Acontinuer à vivre dans la précarité et l’insalubrité absolues pendant que l’Etat accorde des subventions pour la construction
de logements ruraux ? Voilà une des raisons qui nous ont poussé à saisir par écrit les autorités locales, leur demandant le cadastre du plan d’occupation du sol, pour régulariser nos habitations
par l’établissement des actes de propriété. Devant l’indifférence affichée par les autorités de l’époque, ne daignant même pas nous répondre, après mûre réflexion, nous avons engagé une action
musclée en fermant le siège de l’APC, car jugeant que c’est le seul moyen qui nous restait pour faire entendre notre cri de détresse. Dieu merci, cette fois-ci, les autorités sont à notre écoute et
semblent déterminées à solutionner tous nos problèmes. Dans les négociations engagées avec elles, on a reçu la promesse ferme qu’elles se pencheront sérieusement sur notre cas. Il s’agit du
cadastre, dans un délai qui ne saurait dépasser six mois. On a aussi soulevé les problèmes qui nous empoisonnent la vie au quotidien. Nous avons demandé la rénovation du réseau électrique, vétuste
et menaçant la sécurité des habitants, qui date des premières années de l’indépendance. On a aussi demandé le goudronnage des ruelles et la rénovation de l’éclairage public, comme on a sollicité
l’ouverture d’un accès carrossable jusqu’à la décharge du village, pour que le camion de la voierie puisse procéder au ramassage des ordures ménagères. Néanmoins, nous possédons certaines
commodités. On a bénéficié récemment de l’alimentation en gaz de ville. Nous ne souffrons pas du manque d’eau potable et tous les foyers sont raccordés au réseau d’assainissement. » Et revenir sur
la fermeture à la circulation de la RN 26 il y a quelques semaines de cela : «On a procédé à la fermeture de la route nationale pour dire basta ! Une sexagénaire a été percutée mortellement par un
chauffard alors que cela fait des années que nous demandons des moyens pour mettre fin aux accidents sur ce tronçon appelé mouroir. Les autorités locales n’ont rien fait jusqu’au jour où nous avons
décidé de fermer la route. Il y a quelques jours, des passages cloutés ont été aménagés. En outre, promesse nous été faite de la réalisation prochaine d’une passerelle.» Et ce sans manquer de dire
que le souhait des villageois, c’est de voir ces anciennes masures disparaître et laisser place à des habitations dignes de ce nom, pour un cadre vie décent. Larbi Beddar